Article sur La disparition des terres agricoles
Le CAUE relaie l'article "Terres agricoles : quand la ville mange la campagne ?" publié le 13 juin 2019 par Ladépêche.fr
Des dizaines de milliers d'hectares des meilleures terres agricoles disparaissent chaque année en France. Bétonnage ou accaparement ? Le marché spéculatif de l'artificialisation des terres repart à la hausse. Un constat préoccupant, car c'est aussi une ressource essentielle à la production alimentaire qui disparaît.
Il suffit de se souvenir, en passant sur la rocade ouest de Tarbes par exemple. Assise sur sa chaise, une vieille fermière gardait là ses quelques vaches sur fond de barre d'immeubles au milieu des années 2000. Les bâtiments de la ferme existent encore. Mais des concessions ont recouvert le pré. Tandis qu'à quelques kilomètres de là, la zone aéroportuaire ne demande qu'à s'étendre de 200 ha pour parquer des avions sur les grasses terres de la plaine d'Ossun où poussent maïs et… lotissements.
Tarbes, mais surtout Montpellier ou Toulouse : pour les métropoles comme nombre de périphéries urbaines et même villageoises, partout ailleurs, le constat dressé fin 2018 à l'occasion du congrès du groupe des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer, dont la vocation historique est la maîtrise du foncier et de ses prix pour installer ou développer des exploitations agricoles) sonne l'alarme.
Menace sur l'autonomie alimentaire
La «consommation du foncier» avec à la clé «l'artificialisation des terres» au profit de l'habitat, de l'industrie, du commercial, des parkings et des ZAC, zones d'aménagement concerté, se poursuit et dévore en priorité les terres les plus fertiles parce que souvent les mieux situées. En 2017, 55 000 hectares ont ainsi disparu, en France soit «l'équivalent de la surface agricole utile d'un département consommé tous les cinq ans», résume le groupe Safer.
Si l'on ajoute à cela, la «concentration des exploitations» et l'«accaparement des terres» au profit de grandes structures propriétaires voire des spéculateurs chinois, dans le Berry… C'est une menace directe sur l'indépendance alimentaire qui aujourd'hui grandit, préviennent les professionnels.
«Entre 2007 et 2014, la crise de 2008 avait heureusement mis un premier coup d'arrêt. Puis elle avait été suivie d'une prise de conscience des élus qui avait permis de mettre en place des outils de contrôle pour faire baisser cette pression. Mais depuis 2015, on repart vers une consommation excessive, avec environ 6 000 ha artificialisés en Occitanie chaque année et c'est inquiétant», pointe Christian Roussel, directeur opérationnel de la Safer Occitanie.
Mais le dossier est «plus complexe que «l'urbanisation qui se fait au détriment des espaces naturels et des bonnes terres», prévient aussi Marie-Christine Jaillet, directrice de recherches au CNRS à Toulouse. Car aujourd'hui, avec l'exigence croissante d'une production alimentaire, saine, de qualité et de proximité, les cartes se redistribuent aussi autour des villes pour une évolution vers l'«agriurbain» tandis qu'à la campagne, de nouveaux agriculteurs aux projets innovants – mais pas forcément issus du monde paysan – ont besoin de terres pour s'installer et répondre à la demande. Ce que la Safer comme Terre de Liens les aide à faire.
«Les espaces que l'on perd aujourd'hui, on risque de les pleurer demain», prévient pour sa part le député des Hautes-Pyrénées Jean-Bernard Sempastous (LREM), président de la Commission sur le foncier agricole qui a remis son rapport en décembre. Un sujet qui a aussi été débattu, lors du dernier Salon de l'Agriculture entre les exploitants et Emmanuel Macron. Une loi foncière protectrice est en projet, indique-t-il, et a priori dès cette année.
Macron s'empare du sujet
Après la publication, lundi 6 mai, du rapport des experts de l'ONU sur la biodiversité, Emmanuel Macron a annoncé une série d'actions pour protéger la faune et la flore menacées par l'activité humaine. Parmi ces mesures (limitation des produits phytosanitaires, gaspillage alimentaire, expansion des aires marines protégées), figure aussi le dossier de l'artificialisation des sols. «Nous allons aussi accroître la lutte contre l'artificialisation des sols», a lancé le chef de l'Etat. «J'ai demandé un bilan très précis pour fixer des objectifs en matière de lutte contre l'artificialisation» en visant «une réhabilitation des 20 à 25 % des sols agricoles dégradés par l'utilisation passée des phytosanitaires». L'objectif «zéro artificialisation nette» des sols est déjà dans le Plan biodiversité présenté en juillet 2018 par le gouvernement. La lutte contre l'artificialisation des sols pourrait être mise à l'ordre du jour du Conseil de défense écologique dont le chef de l'Etat a décidé la création dans son bilan du Grand débat national.
Pierre Challier