"Bienvenue sur mon mas" : Synthèse de la journée du 15 mars 2018
La journée « Bienvenue sur mon mas » a permis de rassembler propriétaires vignerons et professionnels du paysage autour de la mise en valeur paysagère de leur domaine, dans différents contextes.
L’Art des jardins dans les exploitations agricoles : luxe ou opportunité pour les mas viticoles des Pyrénées-Orientales ?
La journée a débuté par une mise en perspective historique.
En France, les questions relatives à l’amélioration de la productivité des fermes et à l'instruction de la paysannerie, furent déjà abordées, par Olivier de Serre, à la Renaissance, à travers son célèbre traité d’agriculture : « Théâtre d'Agriculture & Ménage des Champs ».
A partir de 1750, les physiocrates placent l’agriculture au centre du développement économique et vont initier un important mouvement de modernisation.
Celui-ci va s’intensifier, au 19ème siècle, avec la création :
• des « Comices agricoles » (1833) où sont progressivement attribuées des récompenses telles que les « Primes d’honneurs » décernées dans le cadre de « Concours régionaux » ;
• puis, du « Concours général » dont naîtra le « Salon de l’Agriculture ».
En 1878, l'Imprimerie Nationale édite, en huit volumes, les productions agricoles départementales et descriptions des domaines et fermes-écoles ayant été primées accompagnées de planches illustrées. Ces documents soignés attestent d’une indéniable recherche de qualité globale tant sur les bâtiments agricoles que sur leurs abords, en lien avec la demeure du propriétaire.
Parfois, de véritables jardins paysagers, dont certains ont pu être conçus par des architectes-paysagistes, comme le célèbre Edouard André ou d’après des manuels ou des traités de jardinage, y sont représentés en plans et en perspectives.
Il semble ainsi évident que les améliorations apportées aux bâtiments, matériels, méthodes culturales et techniques d’élevage ne pouvaient, alors, se concevoir sans également prendre en compte un environnement accueillant et agréable à contempler, faisant la fierté de son propriétaire.
Entre l’extrême fin du 19e siècle et la Première Guerre Mondiale, en Roussillon, de riches familles agricoles et industrielles vont également faire réaliser de véritables jardins d’agrément autour de leur « château » et de leurs entreprises n’hésitant pas, pour certains, à faire appel à des architectes-paysagistes de renom.
De telles comparaisons peuvent étonner face à un contexte viticole actuellement bien difficile, en Pyrénées-Orientales. Les vignerons présents l’ont souligné : la rentabilité économique des exploitations est difficilement assurée, sur des terroirs peu productifs, parfois difficilement mécanisables. Par ailleurs, en zone péri-urbaine, la pression de l’urbanisation sur les terres agricoles fragilise les exploitations et il est exceptionnel que les collectivités portent de véritables projets de mise en valeur de l’agriculture. Ainsi, M. Belmas du Mas Alart témoignait être le dernier agriculteur de sa commune : son exploitation sera bientôt cernée par les dernières extensions urbaines de Saleilles et Cabestany. Cependant, pour lui, cette position présente l’avantage de lui permettre de commercialiser l’essentiel de sa production au domaine.
Ne pas inventer un nouveau paysage, mais mettre en valeur un existant remarquable
Les vignerons présents précisent que jusqu’aux années 1960, les mas n’étaient pas des lieux d’accueil car, avec la généralisation du système coopératif, il n’y avait pas de vente directe.
Pour autant, ces domaines, de tailles variables, n’étaient pas dépourvus de qualité architecturale et paysagère, comme le souligne le panneau sur les domaines de mas de l’exposition sur les jardins d’agrément des Pyrénées-Orientales récemment réalisée par le CAUE.
Les conseils apportés par le CAUE à quatre domaines ont montré à quel point les propriétaires pouvaient s’appuyer sur un existant remarquable : bâtiments d’exploitation mis en scène sur un point haut, alignement d’arbres menant au mas, arbres ou bosquets remarquables, terrasse, muret, portail, petits ouvrages en ferronnerie, poteries et emmarchement marquant les limites, et orientant des points de vue sur le vignoble…
Bien qu’évoluant dans des contextes très différents, chaque domaine s’est révélé couver un fort potentiel de valorisation des espaces extérieurs au service des projets des vignerons :
Le domaine de Besombes se trouve sur le piémont des Corbières, à Salses-le-Château. Le Mas et sa chapelle du XVIIIème dominent une petite plaine cultivée cernée de collines boisées. Il dispose d’un caveau de dégustation, accueille des vino-tours et ponctuellement des réceptions plus importantes. Le conseil a permis de mettre en avant la possibilité de travailler sur une vaste terrasse d’accueil et de dégustation dont la chapelle serait l’élément central. Cela permettrait à la fois de mieux circuler entre les différents niveaux du jardin, de révéler l’entrée de la cave, de régler les problèmes de gestion des eaux de ruissellement et de créer de la fraîcheur en aménageant un bassin.
Le Mas Alart se trouve entre Saleilles et Cabestany, le long de la Fauceille. La situation péri-urbaine du domaine est à double tranchant : pression des projets urbains et d’infrastructures d’un côté, possibilité de réaliser l’essentiel des ventes sur place de l’autre. Le conseil a permis au propriétaire de renouveler son regard sur les lieux potentiels d’accueil du mas. Ainsi, l’arrière du mas, orienté nord et agrémenté d’un très beau chêne, s’est révélé être un très beau lieu de dégustation ombragé sur lequel le caveau pourrait s’ouvrir. De même, un hangar initialement jugé disgracieux pourrait être valorisé en préau de réception donnant sur le parc et le vignoble…
Le Domaine Montana se trouve dans l’Aspre Viticole. Le propriétaire a construit un nouveau chai et caveau d’accueil et valorisé les anciens bâtiments en musée de la vigne et salle de réunion. Le conseil a, entre autres, permis de travailler le lien paysager entre le mas et son vignoble. Côté mas, une grande terrasse-belvédère cernée d’un haut mur qui surplombe le vignoble, aujourd’hui partiellement en friche et en lieu de stockage, pourrait être valorisée. Côté vignoble, de petites interventions (signalétique, banc…) permettraient de valoriser la vue sur les vignes dominée par le mas et les Albères.
Le domaine Madeloc se trouve en cœur de ville à Banyuls-sur-Mer. La cave dispose d’un espace très limité et contraint d’environ 1000m² : une façade sur rue avec un léger recul et un jardin en longueur à l’arrière. Le conseil a permis d’articuler un ensemble d’espaces aux usages contrastés, en donnant à chacun une qualité d’ambiance... Parvis d’accueil mettant en valeur la façade de la cave, terrasse privative ombragée par une treille, abords techniques de la cave bien organisés, coin dégustation à l’ombre, allée desservant le jardin privatif et le verger des bombonnes, et scène sous un grand pin au fond du jardin.
Une présentation a permis de découvrir de nombreux exemples de projets menés dans les vignobles français et d’avoir une idée des coûts engagés en phase étude et en phase de réalisation. Les axes de travails les plus courants sont : - La mise en valeur des sites d’accueil sur le mas- L’association de projets architecturaux et paysagers- La mise en valeur de l’ensemble du domaine agricole avec une approche paysagère- La mise en place de parcours paysager de découverte du domaine- L’installation d’œuvre « land-artistiques » sur le domaine.
Pourquoi investir dans la mise en valeur paysagère ?
Quel intérêt pour des vignerons, déjà bien occupés par leur principale activité, d’investir temps et argent dans un projet de valorisation paysagère ? Plusieurs raisons ont été évoquées lors des échanges.
- Transformer ou faire évoluer un « outil de travail » conçu initialement pour la seule production agricole en lieu d’activités mixtes ;
- Améliorer la qualité de vie et de travail des propriétaires et employés du mas. Pour les propriétaires habitant au mas, l’aménagement paysager peut permettre de mieux gérer les circulations, de restaurer l’intimité des parties privatives, et d’offrir à l’équipe du mas un lieu de travail plus agréable et valorisant.
- Développer la vente du vin à la propriété. Beaucoup de viticulteurs font de la vente directe sur l’exploitation. Un visiteur qui repère facilement le mas puis le caveau, puis déguste les vins dans un cadre agréable et ombragé, puis découvre un paysage viticole soigné… consommera plus et reviendra volontiers. A ce titre, Monsieur Christophe Fréry, paysagiste dans le Vaucluse, a évoqué son travail sur le domaine Fontavin (dans la vallée du Rhône entre Orange et Avignon), où l’aménagement de l’entrée du caveau a permis de mettre en scène la noblesse du travail de la vigne et du vin. La propriétaire à apprécié qu’un projet peu coûteux ait un impact aussi fort sur l’image du domaine, de même que l’effet « zen » de l’aménagement sur ceux qui le côtoient tous les jours.
- Asseoir des projets oenotouristiques plus ambitieux : nous avons visité deux domaines qui ont investi en ce sens. Monsieur Gil, du domaine de la Perdrix (66), a fait le choix de sortir sa cave du cœur de village pour installer un bâtiment neuf sur une parcelle de vigne en bordure d’une route très passante. Il organise tout au long de la belle saison des concerts accueillant 300 personnes. Parti d’une parcelle « nue », il a mené une réflexion avec Monsieur Laurent Fayolle, paysagiste (84), pour créer un écrin de verdure autour du chais… La priorité est la mise en valeur des lieux d’accueil : chemin jardiné et terrasse associés au caveau, vaste pelouse, fond de scène paysager. Côté route, la façade du chai sera mise en valeur par des plantations agricoles : oliveraie, rang de vigne, chênaie truffière. Les espaces de stationnement, conséquents seront masqués et ombragés par des haies mixtes. Monsieur Carbonnell du domaine de Valmy (66), a quant à lui investi dans un projet associant chai de dégustation, un restaurant, et lieu de réception. L’agence d’architecture (BAU Architectes) de Perpignan et l’Atelier Lieu Et Paysages (ALEP), architectes-paysagistes, de Cadenet (84) ont d’emblée travaillé ensemble. L’aire de stationnement a été mise en discrétion par un jeu de nivellement. L’entrée du chai est associée à une cour plantée qui ouvre sur le paysage du vignoble jusqu’à la mer. Les jardins du chai sont composés de deux parties. La première, plus structurée, offre une terrasse ombragée de pins au restaurant, et intègre un jeu d’enfant en structure d’osier très originale. La seconde partie, aux lignes plus souples, donne l’impression de se fondre dans la garrigue environnante. On y découvre, au gré des cheminements, une pergola et gloriette, des niches de verdure et un point de vue qui en font un lieu de réception très apprécié.
- Mettre en valeur à l’échelle communale le paysage viticole : Monsieur Pujol, viticulteur bio, maire de la commune de Fourques (66), nous a présenté les sentiers de découverte du paysage mis en place par la municipalité dans l’aspre viticole. Ce projet a eu plusieurs vertus : les habitants du village ont redécouvert les paysages alentours et le petit patrimoine vernaculaire. Ces itinéraires attirent les randonneurs tout au long de l’année, avec un impact sur les petits commerces et caves du villages. La cave coopérative et certaines caves particulières se sont d’ailleurs appuyées sur ces itinéraires pour proposer des visites guidées dans le vignoble.
- Accompagner une évolution des pratiques agricoles du domaine : Madame Agnès Balaran, paysagiste issue d’une famille de viticulteurs, a mené son travail de fin d’étude sur la propriété familiale. Outre le conseil concernant un meilleure organisations des lieux d’accueil, elle a proposé un véritable projet agro-paysager pour accompagner le passage en bio et la diversification agricole du domaine. Plantation de bandes fleurie-pharmacie, permettant de fabriquer des purins de traitement bio. Plantation de vergers et de céréales sur des parcelles non exploitées. Gestion de l’enherbement dans les rangs de vignes par du paillage et la plantation d’aromatiques couvre-sol…
Que peuvent apporter les paysagistes concepteurs aux vignerons ?
Madame Marie Guilpain (paysagiste-concepteur à Perpignan), au nom de la Fédération Française du Paysage a présenté le métier de paysagiste concepteur, les professionnels présents ont complété en témoignant de leur expérience propre.
Il a été rappelé que le « paysagiste concepteur » n’est pas là « pour choisir la couleur des rosiers » mais pour proposer « une approche globale » en lien avec le site et les besoins exprimés verbalement sinon écrits du « maître d’ouvrage ». Il est le « maître d’œuvre » des espaces extérieurs, une sorte de « chef d’orchestre » qui peut solliciter compétences complémentaires et outils variées pour proposer un projet (paysager) d’aménagement global : utilisation du végétal, gestion des eaux, nivellement et revêtement de sol, organisation des espaces et des circulations, mobilier, signalétique et mise en lumière…
En tant que maître d’ouvrage, le propriétaire du mas a pour rôle de bien préciser sa commande, à travers un « programme précis » faisant l’inventaire de ses besoins et contraintes. Il est conseillé de rencontrer 2 ou 3 paysagistes-concepteurs afin de trouver celui le plus à même d’accompagner son projet. L’idéal est une rencontre sur le mas, avec un échange sur la méthode de travail (étapes, types de document, coût), et la présentation (voir, la visite) de références réalisées par les paysagistes-concepteurs contactés. Dans le cas d’un projet mixte bâtiment/espaces extérieurs, associer architecte et paysagiste dès le début permet d’envisager un aménagement cohérent et souvent, de faire de grosses économies.
Le contrat liant le propriétaire au paysagiste concepteur doit être défini sur mesure. Les missions les plus courantes étant :
- Un dossier d’esquisse (ou d’avant-projet sommaire), permettant de définir les grandes lignes du projet et d’aboutir à une estimation sommaire. Il permettra au propriétaire de mieux cerner les opportunités de valorisation de son domaine et de mesurer les possibilités en fonction de sa capacité d’investissement. Peu coûteuse cette première mission permet souvent une révélation des potentialité grâce à un regard extérieur et expérimenté.
- Un dossier de (avant) projet détaillé, permettra au propriétaire d’avoir toutes les informations et document techniques permettant la mise en œuvre d’un projet paysager. Un chiffrage détaillé lui permettra d’envisager le phasage les interventions. Le plan de gestion lui permettra de visualiser les contraintes d’entretien du projet.
- Une mission de maîtrise d’œuvre (à partir du projet détaillé) : si le propriétaire le souhaite, le paysagiste peux encadrer la mise en œuvre du projet : choix des entreprises, suivi du chantier….
- Une mission de suivi (accompagnée d’un plan de gestion ou d’entretien) : les projets paysagers se déploient dans le temps, une ou plusieurs visites annuelles permettent d’ajuster le projet et de s’assurer que la gestion des espaces extérieur respecte le projet. Soazig Darnay, paysagiste-chercheuse spécialisée dans l’oenotourisme a évoqué sa collaboration multiforme avec le domaine Gramona depuis 2005. Echange continu d'idées et d'envies avec le directeur technique et la famille gérante de l'entreprise, permettant la mise en place de stratégies en développement durable + Missions régulières de suivi de chantier, achats des plantes autres que vignes, formation des jardiniers qui assurent l'entretien des lieux…
Bibliographie
Ouvrages :
Les nouveaux paysages de la vigne /Auteurs : Photographies Philippe PERDEREAU / Texte : Christiane CAMOU & Françoise DUBARRY - Editions : ULMER Agriculteurs et paysages / Auteurs : Régis AMBROISE - François BONNEAUD - Véronique BRUNET-VINCKEditions: Educagri Guides et fiches conseils : Cette fiche présente les personnes ressources et professionnels en matière d’aménagement paysager
Les plus beaux chais du monde / Auteurs : Hans HARTJE - Jeanlou PERRIEREditions : Artémis
Quels végétaux pour le Languedoc-Roussillon ? Mini-guide conçu et réalisé par les paysagistes de l'ex-Union Régionale des CAUE Languedoc-Roussillon, présente arbres, arbustes, vivaces, couvre-sols, grimpantes... réparties selon les quatre grandes entités paysagères de notre région : littoral, plaine, piémont/garrigue et montagne.
Améliorer la place du végétal dans ma commune.